«Une victoire d’étape très importante»
Après une première vague de 59 licenciements au printemps, la mobilisation des travailleur·euses de l’entreprise Stahl Gerlafingen, dans le canton de Soleure, a permis d’éviter de nouvelles suppressions de postes. Entretien avec Matteo Pronzini, responsable de la branche MEM (machines, des équipements électriques et des métaux) du syndicat Unia.
Stahl Gerlafingen avait l’intention de procéder à 120 nouveaux licenciements cet automne et vient d’y renoncer pour l’instant. Comment cette issue a été rendue possible?
Matteo Pronzini: Pour poser le cadre de ce conflit, il faut d’abord comprendre que cette aciérie de 500 travailleur·euses a une très grande importance pour la région. Il s’agit d’un symbole (comme ce fut le cas de Von Roll pour le Jura ou des «Officine» pour Bellinzone). Par ailleurs, il y a toujours eu une certaine présence syndicale, avec un groupe local d’Unia. Au printemps 2024, l’entreprise a annoncé vouloir procéder à des licenciements ainsi qu’à la fermeture d’une ligne de production pour le marché extérieur [en raison des blocages à l’exportation vers l’UE générés par Bruxelles, ndlr] et nous avons tenté de nous y opposer. Nous avons alors développé une réflexion sur l’importance de cette entreprise: elle recycle la ferraille et produit de l’acier sur cette base. Il s’agit d’une production propre, au sens où elle consomme la moitié de CO2 par rapport à la moyenne internationale. Nous avons commencé à parler d’«acier bio». Les négociations avec la direction au printemps ont été très difficiles.
Au cours de l’été, Unia a réfléchi à la manière d’intervenir au niveau politique pour imposer l’utilisation de l’acier produit à Gerlafingen sur le marché suisse. Ce, en tenant compte du fait que le principal produit de Stahl Gerlafingen est l’acier pour l’industrie de la construction.
Dans ce contexte, quelle a été la stratégie syndicale mise en œuvre?
Nous avons développé des revendications qui combinaient la défense des places de travail et les enjeux écologiques. Bien que cette entreprise consomme beaucoup d’énergie, elle en consomme nettement moins que la moyenne. Par ailleurs, la plupart des matériaux qu’elle recycle arrivent à l’usine par le rail. L’acier produit à Stahl Gerlafingen est principalement employé dans l’industrie du bâtiment. Or, lorsqu’il est question des marchés publics dans le bâtiment, les travaux sont confiés à des entreprises qui respectent la CCT de leur branche. C’est ce type de réflexion à destination du pouvoir politique que nous avons développé en mettant en avant la revendication de n’attribuer de travaux qu’aux entreprises qui respectent les conditions environnementales, ce qui est le cas de Stahl Gerlafingen. Parallèlement, nous avons mis en avant la nécessité de mettre sur pied une taxe écologique sur l’acier en fonction des émissions de CO2. Toutes ces revendications impliquaient une intervention de l’Etat.
Nous étions dans ces discussions lorsque l’annonce d’une nouvelle vague de licenciements a été faite par l’entreprise au début du mois d’octobre.
Comment s’est déroulée la mobilisation de cet automne?
Comme nous avions déjà travaillé avec la commission d’entreprise ce printemps, des liens de confiance s’étaient créés et nous avions une stratégie syndicale de mobilisation unitaire avec tous les syndicats impliqués (Syna, Employés Suisse et la Société suisse des employés de commerce). Des assemblées hebdomadaires ont été organisées et nous avons décidé de notre plan d’action. Une pétition a été lancée contre les licenciements et a été largement soutenue, tant par le mouvement de défense du climat que sur le plan régional, réunissant plus de 15 000 signatures. Ce soutien populaire a renforcé la mobilisation des travailleur·euses, qui a été évidemment très importante, notamment à l’occasion de la manifestation à Berne le 21 octobre. Nous avons choisi cette date car elle coïncidait avec des réunions de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-N) et de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats (CER-E) qui devaient discuter d’objets liés à Stahl Gerlafingen. Le conseiller national Roger Nordmann (PS) a fait une proposition dans le sens de réductions des tarifs de l’énergie pour les entreprises qui font du recyclage. Ces diminutions de prix sont associées à des conditions (transparence, pas de versement de dividendes et sauvegarde des postes de travail notamment).
Nous avons poursuivi notre action, en rencontrant le conseiller fédéral Guy Parmelin pour lui remettre la pétition et en organisant une manifestation le samedi 9 novembre devant l’usine.
Et donc l’entreprise a décidé de renoncer aux licenciements pour l’instant?
La proposition de Roger Nordmann ayant été acceptée par la CEATE-N, cela nous a fourni un argument supplémentaire dans les discussions. Dès lors, à l’issue de la consultation, nous avons pu convaincre l’entreprise de renoncer aux licenciements et d’opter plutôt pour du chômage technique pour une partie des salarié·es en attendant les décisions politiques. La proposition de Roger Nordmann doit en effet encore être acceptée par le plénum. Trois motions seront également discutées pour demander une intervention de l’Etat, y compris par des mesures urgentes pour sauver cette entreprise. L’issue n’est pas certaine, mais nous avons pu obtenir des gains qu’il ne faut pas sous-estimer.
C’est en effet une victoire d’étape très importante pour les travailleur·euses, et ce n’est pas fréquent de parvenir à un tel résultat. Comme dans chaque lutte, on a pu observer de grandes avancées dans la conscience et la compréhension politique des travailleur·euses. Ils et elles ont pu avoir la démonstration concrète de l’utilité des organisations syndicales et ont également très vite pris en main leur situation, avec une dynamique d’auto-organisation importante.
Paru dans Services publics, le journal du syndicat SSP, no 14, 29.10.24.
(1) Une «crise de l’acier» illustrée dernièrement par la suppression de 130 postes à temps plein annoncée par Swiss Steel, le 15 novembre, au sein de sa filiale Steeltec, à Emmenbrücke (LU), avec 80 licenciements à la clef. Cette décision s’inscrit dans un vaste plan de restructuration du groupe, qui biffe 800 postes au niveau mondial. Unia a lancé un appel pour le maintien des emplois lucernois (unia.ch/fr/points-forts/appel-swiss-steel), ndlr.